Archives de Catégorie: créations

Le serrurier

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J’ai oublié les clés.

Ça m’arrive toujours d’oublier des trucs comme ça.

On dirait qu’il y a mille et un trucs de trop qui tourbillonnent et qui emportent des idées faciles comme « N’oublie pas de laisser les clés dans la boîte aux lettres. »

J’ai évidemment oublié les clés.

 

Première journée de pluie des vacances. Journée à rester couché. Je me lève. S’il faut que l’obligation s’impose, autant la rendre agréable à accomplir.

Je passe à la commande à l’auto.

Ce qui me ferait plaisir : un burritos avec un grand café.

Mea Culpa, je me tanne de manger des toasts sans sel, sans gras, sans sucre avec du beurre d’arachide « 25% moins de sel, 25% moins de gras ».

Eh puis, rien ne sert de me coiffer, l’humidité qui règne aurait raison de tout le travail.

Journée à rester couché.

Si au moins, je n’avais pas oublié ces foutues clés…

 

« Bonjour, mon nom est Émilie, puis-je prendre votre commande? Mais avant, sachez que les paiements Interac et crédit sont impossibles en ce moment. » Bris.

Résultat : l’élément sensé égayer ce matin maussade où ça me purge d’avoir à polluer et à gaspiller parce que j’ai oublié de remplir ma mission clés disparait en fumée.

Soupir. Exaspération.

 

Je ne suis tout de même pas pour me recueillir devant le guichet de commande à l’auto en retenant mes larmes de désespoir. Non, on se met en action.

Musique? Non. Silence. En route.

Et ce mec, pourquoi il ne réécrit pas? Et cette saga avec le contracteur, pourquoi ça nous arrive? À nous? Et cet été qui file, et cette fatigue qui perdure? Le gars qui à fait alterner ses lumières sur sa voiture derrière, que voulait-il dire finalement? Est-ce que c’est cette semaine la paye? Reste-t-il du papier de toilette? Et du dentifrice? Je ne me souviens plus. Et si on passait faire un tour au magasin question de rentabiliser cet aller-retour? Et pourquoi il ne réécrit pas? Papa, veux-tu ben me tricoter un beau passage dans ma vie, car visiblement, je n’y arrive pas toute seule. Pourquoi ça n’a encore une fois pas fonctionné? C’est la fête d’Iris. Iris, c’est un miroir de ma vie, mais avec une autre paire d’yeux. Qu’est-ce qu’elle aimerait bien se voir offrir? J’aurais pu penser à cela avant. Maudit que je suis désorganisée! Elle l’aura en retard, c’est ma marque de commerce! Pourquoi il a fallu que le resto de mon ville-âge éprouve un pépin technique le matin où je choisis de me gâter? La limite de vitesse a-t-elle été changée coup donc? Envoye!

 

Ok. Musique!

 

Je ne sais pas si vous êtes comme moi; il y a des moments où mon cerveau fait une indigestion, comme, on dirait. Où les questions s’entrechoquent, se mêlent, m’essoufflent.

 

On vous l’a surement dit souvent à vous aussi : « Le cœur à ses raisons que la raison ne connait point ». Ça m’a pris du temps pour comprendre vraiment ce que ça voulait dire ces beaux mots alignés, soldats porteurs d’une vérité virale dont on ne connait pas le vaccin.

Enfin.

J’ai mis de la musique.

 

 

J’arrive en ville bientôt. Quel est le plan de match? Clés et ensuite ravitaillement? Ou ravitaillement puis clés ensuite?

N.B. Tu n’as toujours pas pris ton café du matin…

Ça pèse lourd dans la balance. Argument massue.

Je m’arrête chez M. Le Clown.

Commande à Nadia (J’t’annonce qu’Émilie n’a pas le don d’ubiquité.)

Au moment où sur mes genoux, mon portefeuille, sur le banc d’à-côté, sacoche, clés oubliées, publisac, sandales de rechange pour un confort perpétuel peu importe l’endroit, sac à déchets qui déborde, dans ma main gauche, la machine fonctionnelle de resto de la ville et dans la droite, la tentative désespérée d’accéder au bouton « mute » de cette musique. Désorganisée.

 

Choisissez le compte   CHQ    ES

 

« Hey! »

Je me retourne.

Débarre les portes.

Appuie sur les chiffres de mon NIP.

Appuie sur le fameux « mute » enfin.

Ouvre la fenêtre.

Reprends ma carte.

Le café.

Garoche la sacoche derrière.

Les sandales.

Quelques déchets.

Prends le sac.

 

Et il est entré. S’est assis à côté de moi.

Je n’ai pas bougé. En fait, la voiture est restée immobile.

La dame du guichet m’a proposé d’avancer.

Évidemment.

 

Ça fait plus de 6 ans.

Notre Tchernobyl : nous deux.

Y a-t-il encore des radiations?

Sans doute.

 

« Tu n’es pas parti pour le lointain, toi? »

Il me sert d’abord dans ses bras. L’inconfort de la console entre les deux sièges n’a pas empêché cette accolade vibrante.

« Je pars ce matin. Là. D’ailleurs, on doit m’attendre. »

« Alors pars. Profites-en bien! »

 

Et on se ré-accolade.

Ma main dans son cou, ses cheveux, presque.

Ses deux mains dans mon dos et un long baiser dans mon cou.

 

Et il repart.

« Avancez madame !»

Le service est vraiment rapide ici.

Et je cligne des yeux.

 

Ma voiture est en désordre, plus encore qu’elle ne l’était, et je ne m’y retrouve plus.

Où sont les clés?

 

Je reçois un texto sur le cellulaire que j’entends, mais que je ne vois plus.

Pas d’accident surtout. Ils le disent tous à la télé : ça tue texter au volant.

Iris – « As-tu mes clés? »

 

Mais bon sang, je suis étourdie.

 

Qu’est-ce qu’il faisait là, celui-là, à ce moment-là?

Il m’a dit : « Tu m’as reconnu!? »

« C’est certain, tu n’as pas changé. »

 

Comment aurais-je, de toute façon, pu oublier.

 

Et j’ai remis les clés à Iris.

 

Et la première gorgée, je l’ai prise froide.

 

 

 

17 juillet 2012

Histoire de « gratteux »

État

J’ai allumé la télé.

Encore.

Je pense que je viens de la démasquer. Elle est tueuse. Tueuse d’inspiration. Tueuse de création.

Elle a le meurtre passif.

Elle ne fait rien qu’obnubiler sa proie.

Bien enfouie dans le fauteuil accueillant, enveloppant, reposant, on appuie sur le « piton power » (quelqu’un a-t-il déjà utilisé le vrai terme pour cette fonction? C’est dans la même gamme de faiblesses linguistiques qu’on trouve « rewind ») et le massacre commence. D’abord, le corps est envouté. (On s’aperçoit ici du rôle complice du sofa.) Un relâchement musculaire et cérébral s’opère. On décroche. Décrocher de la réalité. Se cultiver l’imaginaire, l’irréel, la cathartique. Et voilà. L’échappatoire, la fuite.

Et ces idées qui naissaient, qui seraient nées ou qui n’auraient jamais trouvé la porte de sortie pour être dites, entendues, partagées tout en n’étant pas moins des idées à part entière? Ces idées sont balayées.

Ce qui me fait croire qu’elles meurent, et qu’il y a bien là histoire de meurtre, c’est qu’elles ne reviennent jamais. On pourrait sans doute davantage changer le monde si on s’activait plus, encore, toujours… PLUS.

Et nait la culpabilité. Celle qui nous guète à chaque moment pour s’assurer de notre efficacité. Objectivité. Rigueur. Bien paraître. La pression. La pression de qui? (Toute ma famille –j’exagère à peine- souffre, a souffert ou tend à souffrir de problèmes de pression. La pensée judéo-chrétienne de valeur dans le labeur et d’obligation de culpabilité à la confesse nous ont élevés. Élevés vers où?) La pression sociale? Notre propre pression (pas au sens médical, au sens de charge émotive. Ah, la polysémie! Et vive les parenthèses!)?

Ok.

D’accord.

Beau constat!

Et maintenant?

Et ben maintenant? Ne reste plus qu’à vivre! Vivre sa vie comme un gratteux.

Être mal, c’est louable.

La quête du bonheur, c’est ce qu’on nous vend comme trame de fond de vie.

Les films se terminent plus fréquemment qu’autrement bien, mais le bien est éphémère et finit abruptement par un générique. Il n’a pas de suite. Il est bref. Il meure (lui aussi, l’histoire est quasi sanglante!) dans un soupir. Le soupir du retour au réel. De la rationalisation des possibles.

Ceci dit, lorsqu’on regarde le film, qu’est-ce qui nous captive, nous fait vivre l’histoire et nous emporte ailleurs? La fin?

(Moment de réflexion individuelle)

Et c’est à ce moment de la réflexion que je ressors des phrases toutes faites qui, placées là, prennent tout leur sens…

« Le bonheur, ce n’est pas la destination, mais bien le chemin qui nous y conduit. »

Et « Le bonheur, c’est attendre ».

C’était écrit dans une revue à laquelle je me suis abonnée pour tenter de me créer des passions casanières.

J’ai d’abord beaucoup ri devant le pied de nez que me lançait cette maxime.

« Dans les dents! »

Je l’ai découpée et l’ai collée bien en vue. Je fais ça quelques fois avec des mots cueillis à la volée par mes pupilles ou mes oreilles en mode bluetooth.

« Le bonheur », donc, « c’est attendre ». Attendre les possibles, car « ça pourrait tomber sur [nous] » (Ici, je cite l’enveloppe de Loto-Québec, spécialiste de la vente de possibles!) On m’a offert un gratteux. Quand on gratte, on rit, on s’enivre d’espoir naïf et candide. On gratte. On gratte. Avec vigueur, rigueur ou frivolité, chacun a sa manière de gratter. Son sou chanceux. Ses superstitions. À la fin, on vérifie, puis on revérifie pour s’assurer de ne pas avoir fait d’erreur. Tout à coup qu’on aurait mal vu ou bien mal compris… On se dit « ben coup donc ! » L’amertume dure un temps, court, puis elle s’éteint. C’était agréable à vivre le temps que ça a duré.

Et s’il y avait plus de ces petits moments dans nos vies? Si tout devenait une histoire de gratteux?

Aller au dépanneur acheter une pinte de lait oubliée à l’épicerie, ça pourrait devenir un gratteux

Choisir de vivre l’escapade avec une dose d’intensité dans la manifestation de notre engagement dans le processus d’attente des possibles.

Se rendre au dépanneur avec un soupçon de la hâte et du suspense qu’un gratteux propose.

Entrer au dépanneur comme on découvre les pronostics finaux, avec surprise et joie ou encore surprise et déception. Vérifier puis revérifier avant de partir comme si le gros lot de la vie pouvait se trouver entre la gomme et le café.

Partout.

Tout le temps.

Si le bonheur, c’est attendre, attendons les secondes et les minutes, pas les mois, les années ou les décennies.

J’écris ça et je me dis pourtant qu’ils font du bien ces souvenirs de décennies, d’années, de mois. Il y a un mois, je n’envisageais pas de partir en voyage, de me lancer à la découverte, d’explorer le monde, d’aller au-delà, de voir l’ailleurs. Eh bien, je pars sous peu! Partons tous! Dès que la nouvelle année se sera installée, partons tous à la quête de chacune des secondes qu’on se grattera avec une vigueur variable, mais chaque fois un peu comme un gratteux… On pourrait gagner une participation gratuite! Mais quelle que soit la fin, l’expérience aura été pleine de possibles!

Bonne année!

25 décembre 2013

Brulure oculaire

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Mes yeux chauffent. Les phares des milliers de voitures dont les conducteurs se sont écartés sur le rang de campagne qui mène chez moi ne font pas qu’éclairer, ils font fondre ma rétine épuisée.
Plus que 400 mètres.
Tourner la clé vers moi, lever le frein à main, prendr….
Oh! mes yeux ferment.
La main droite, puis la main gauche, chacune une joue, comme un Red Bull dont l’éphémérité se calculerait en millièmes de seconde.
J’ai inutilement mis beaucoup d’efforts sur l’allignement de la clé dans la serrure; la porte était restée débarrée.
Qu’avait- il bien pu se passer en mon absence?
Infraction? Aucune trace. Du moins, tant que la lumière reste fermée. Si je l’ouvre, ma cornée explose.
Aveuglée tout de même par la noirceur, je ferme les yeux sur cette affaire.
Un orteil éloigné des autres.
Deux trainées de larmes brèves.
J’oublie la brosse à dents et ne pense pas à la soie. Du tout.
Ma chambre.
Enfin!
Le lit…
Objet de convoitise.
Un bas…
Mon pantalon.
Effondrement.
Une gorge râclée.
J’ai oublié de prendre la pinte de lait sur le siège du passager.
La porte n’était pas barrée!?
Ce n’était pas ma gorge…
Il y a comme une odeur d’épices.
Je ne parviens plus à fermer les yeux.
-2012-

Le ciel hurle… Il chante l’hymne national comme en octobre…

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24 juin 2013

J’écris à la lueur d’une chandelle, résidu d’un héritage social d’ « il fut un temps ». Le temps d’Émilie et d’Ovila. Tiens donc, certains d’entre vous déjà froncent les sourcils. Ne connaissent pas leur nom, ne savent pas leur univers…

Si j’écris sous cette chorégraphie de langues lumineuses, c’est que les hurlements tonitruants de ce ciel furieux ont eu raison d’Hydro.

Et j’écris éclairée comme l’ont fait plusieurs avant moi, tentant chacun à leur manière de faire survivre notre histoire. L’histoire du peuple québécois.

Puis…

Le temps passe, nous engouffre. Et on n’écrit plus que de trop courts mémos courtement nommés sms.

On a tôt fait d’être obnubilé par mille autres choses. Questions, assurances, textos, émissions de télé, de radio, désinformation, réinformation, placements, diffusion, partage et on oublie tout de l’ici-là-maintenant (ILM). Et de quoi est fait cet ILM? De toutes ces leçons d’Hier et des possibles de Demain. C’est l’instant. Et vous savez ce qu’on en dit? Eh oui, c’est le seul qui nous appartienne vraiment… Pour autant qu’on puisse posséder le temps… Celui qui glisse entre nos doigts, qui se sauve, qui nous étourdit.

Voyez, je raconte notre histoire.

Au cœur de ce tumulte social mondial, on se perd dans le cyber. On s’y camoufle, on y fuit pour s’échapper du temps qui nous échappe!

Et tranquillement, sur cette toile, s’estompent les couleurs patriotiques. On perd de l’éclat de notre unicité. Et les jeunes qui, dit-on, ne semblent pas avoir envie de connaitre notre Hier. Comme s’il ne pouvait leur appartenir. Comme s’il n’était déjà plus le leur. Qui le fera vivre cet Hier de richesses héréditaires dans l’histoire de Demain? On ne se raconte plus d’histoires? Et pourtant, on ne s’en est jamais autant raconté. Simplement qu’aujourd’hui, on n’appelle plus ça « histoires », mais bien « corruption ». Et si on racontait celles qui font naître des rêves? Ces contes et ces légendes, on les assassine de silence? Pourquoi?

Alors, voilà, j’écris, ILM, à la lueur d’un phare, forcée par cette nature, berceau de notre histoire commune, loin du cyber, mais toujours là, Reine.

L’Art est un mensonge

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J’ouvre l’œil et regarde à droite : Berg m’a quittée. Je conserve de son passage dans mon lit une morsure et un bouquet de marguerites. Il a été ma bouteille. La veille, j’avais tout bonnement un chagrin à noyer et il était là. Béranger est vite devenu Berg, question de ne pas altérer mon excitation, puis j’ai joui et ce fut chéri, quelle ignominie! Aujourd’hui, ce n’est plus rien. Je n’ai même pas eu à user de mes répliques tyranniques pour qu’il déguerpisse avant que je ne m’y attache. Il a bien assumé son rôle.

À gauche : c’est le bordel dans mon un et demi. Il y en a de la poussière et des mégots par terre. Je ne fume jamais, mais il faut croire que la bouteille et la cigarette vont ensemble. Pourtant, je ne bois pas non plus. C’est le jour et il fait froid. Je me demande si c’est le départ soudain de Berg ou bien le fait que je sois encore nue sur le carrelage. Je ne cherche pas de réponse. Je me rends à la salle de bain. Je tourne le robinet et me glisse dans les bras d’émail craquelé.

La glace est embuée, mais Elle ne tarde pas à apparaître me forçant à ouvrir les lèvres et à fixer le reflet. C’est fou ce qu’Elle me ressemble. Comme chaque fois, Elle me force à répéter ces mots que je murmure sans cesse et que je maudis à la fois. Je les maudis, car ils ne sont pas de moi. Je les maudis, car ils me martèlent l’intérieur, mais Elle est là alors je murmure. Puisqu’Elle m’y oblige.

Elle a cligné des yeux et j’ai pu m’arracher à Elle. J’ai verrouillé la porte afin de l’emprisonner chez-moi et j’ai traversé le sombre couloir. Dehors, ce n’était guère mieux qu’en dedans. Il pleuvait, comme il pleut toujours. Je suis sortie sans trop penser et j’ai couru à en perdre haleine croyant sûrement pouvoir, de cette manière, éviter les larmes. Le froid me rattrapait. Nous devenions bons amis. Je lui ai parlé de ce rêve qu’il me semblait avoir fait. Je m’y étais prise, j’y avais cru, mais voilà qu’il glissait entre mes doigts, comme tout le reste. Tout sauf Elle qui s’agrippait à mes entrailles. Toute ma vie je l’avais voulu, mais maintenant qu’Elle était là, je ne la voulais plus. Je n’étais, à cause d’Elle, presque plus.

J’ai poussé une autre porte (le monde est fait de portes) et mon acropole m’a avalée. Le bonheur de m’y retrouver est, me semble-t-il, très loin d’être éphémère comme celui que m’apportent les bouteilles jouissantes qui me réchauffent à l’heure où Morphée se montre aussi invitant que le loup. Elle respire et je respire. Ici, nous respirons. Ensemble, apparemment réconciliées, nous empruntons le sentier au bout duquel un château se dessine sous les rayons saisissant d’un artificiel soleil sommeillant. Pierre nous y attend. Souriant comme toujours. Je ne sais pas où il trouve toute cette joie. «  Bon, les enfants, c’est parti, on commence. » Et sans me faire prier, je lui laisse la place. Elle s’avance, sûre d’Elle, magnifique dans sa robe de velours noir. Sous sa couronne dorée, sa tignasse d’ébène est sévèrement tressée, et son visage dégagé ne peut trahir les années qu’Elle traîne comme un boulet. Elle est fière. Elle sait exactement quoi dire, quand le dire et comment le dire. Je l’envie.

La porte se referme. Demain, Elle l’ouvrira pour la dernière fois. En ce moment, je n’ai pas le goût d’emprunter le chemin du retour. Je sens bien que la voie de droite et que la voie de gauche me mèneront au même endroit. Je ferme les yeux et marche. Je compte les pas comme quand j’étais petite, puis je m’arrête brusquement. Je suis sur la rue Montcalm. Les gens qui fourmillent m’apparaissent former une image, une toile que j’ai déjà vue au musée. Ce que je vois ressemble à une barque qui dérive et dans laquelle l’aiguille des secondes pousse les gens. J’aimerais, au milieu de tout ça, pouvoir tenir la pagaie et porter la tuque rouge, mais je suis comme tous les autres, je m’accroche, livide. Ce serait facile de dire que c’est de Sa faute mais, je m’en rends soudainement compte, peut-être m’aide-t-Elle plutôt à comprendre.

Voilà un moment que je suis immobile au milieu de ces pensées qui tournoient. J’irai plus tard au musée. Pour le moment, un café s’impose. J’entre à l’Issue. J’adore ce bistro. Un thé s’il vous plaît. Je tousse. Toute cette fumée me tapisse les poumons. Un thé! Je ne prends jamais de thé. Ce doit être Elle. Service rapide. La tête entre les mains au-dessus de cette infusion, mon nez apprivoise tranquillement le chaud liquide qui vient, à l’intérieur de ma gorge, déloger la fumée et m’envelopper. Une gorgée, une seule. Ça brûle, mais pas tant que ça. En déposant la tasse, je m’imagine tintant de multiples bijoux et la tête recouverte d’un foulard multicolore. J’observe en riant les résidus qui meublent le fond du récipient. Et si c’était vrai que la fusion du fluide avec ma bouche pouvait extraire une parcelle de mon destin et en imprégner l’objet… Je n’ai aucune idée de ce qu’est une anémone, mais c’est ce que j’y vois, je le sais. Il y a de ces  certitudes qui effraient. Cet exercice me liait à une anémone. Je n’étais plus Elle. Tout compte fait, c’est du pareil au même. J’ai poussé ce ridicule dessein. J’ai laissé choir quelques pièces de monnaie et je suis partie aussi vite que j’étais entrée.

Avant qu’ils installent le nouveau système d’alarme, j’avais déjà passé une nuit complète, seule au musée. Il est à l’autre bout de la ville et l’autobus que je dois emprunter est bondé d’hommes et de femmes qui s’entrechoquent au moindre tournant. Je m’y sens d’autant plus à l’étroit qu’Elle est avec moi encore et toujours. En fait, plus que jamais. La pluie a cessé et, au cœur des gens, les gamins pointent l’arc-en-ciel que leurs yeux naïfs ont su apercevoir au travers des immeubles.

Les portes du musée s’ouvrent d’elles-mêmes. Je tente de Lui faire comprendre que ce moment, je le veux pour moi. Elle aura sa soirée demain, mais ce soir, c’est moi qui suis au centre des projecteurs, ceux qui embellissent la réalité des œuvres. J’avale une grande gorgée d’air. Cet air n’est pas celui que nous respirons partout ailleurs. Il transporte toutes les histoires des toiles. Il est à la fois Rembrandt, Delacroix, Picasso et Géricault. Cet air, je paierais cher pour en avoir une bonbonne. Je cours, comme à chacune des mes visites, vers la Ronde de nuit. Sur mon chemin, j’entrevois La barque de Dante et j’esquisse un sourire en repensant à la rue Montcalm. Je souffle sur la mèche blonde qui valse devant mes yeux. Elle a été déplacée. La Ronde de nuit, où est-elle? Juste derrière moi. Je constate avec amertume qu’Elle n’a pas su comprendre ma requête. La toile de Rembrandt est là. Toujours aussi resplendissante, mais le noir s’acharne à estomper le maïs des cheveux de cette femme qui perce la compagnie des veilleurs. Saskia. C’est le tout premier mot que mes oreilles ont capté après ce cri terrifiant qui m’a fait naître. J’ai toujours eu peur du noir sauf la nuit que j’ai passée seule ici, devant cette toile, devant ce havre, devant cette femme. Elle était si lumineuse! J’aurais aimé que mon nom, d’emblée, m’apporte cette même luminescence. Ce soir, tout cet état s’évanouit. La voie se dessine. J’y ai cru, mais je comprends maintenant qu’Elle a eu raison de moi. Ce sera Elle qui triomphera demain. Je ne serai que le médium. Elle m’égare.

Je suis sortie de cet endroit en me battant avec mes larmes. J’ai levé la tête vers le ciel d’un bleu minuit et je me suis rappelé cette phrase que Béranger m’avait dite en voyant Guernica sur mon mur :  « Nous savons tous que l’art n’est pas la vérité. L’art est un mensonge qui nous permet de comprendre la vérité, du moins, la vérité qu’il nous est donné de pouvoir comprendre. » Elle, Elle m’emmenait à comprendre que ce rêve auquel j’ai cru n’était en fait qu’un mirage. Elle m’arrachait ce rêve, Elle m’arrachait mon corps, mais Elle n’allait pas me prendre ma vie entière. Ni Elle, ni les Autres.

La clé a vacillé dans la serrure, ma porte s’est ouverte et je me suis précipitée à l’intérieur. J’ai pris une boîte. J’y ai déposé Leurs mots, tous ceux que je m’étais plu à réciter et auxquels j’avais prêté ma voix. J’y ai ajouté Leurs vêtements, toux ceux auxquels j’avais prêté mon corps. Avant de la fermer à jamais, j’y ai lancé toutes ces images où j’étais Eux. Voilà. La dernière scène, nous la jouerons, Elle et moi, seule à seule, demain. Je suis passée devant la glace. Je l’ai vue. Je lui ai dit ce qu’elle voulait entendre, avec ma voix, mais dans le coin de mon œil, il y avait quelque chose de différent. « Il nous reste dix-sept heures, treize minutes et quarante-neuf secondes. » Ce n’était plus Elle qui le disait, mais bien moi.

J’ai refait le même chemin que la veille jusqu’à l’acropole. Pierre nous y attendait. Anxieux, visiblement, puisque son sourire s’effaçait sous se propos directifs jaillissant. Elle et moi sommes passées à côté de lui sans y faire attention. Je L’ai retrouvée, encore une fois devant une glace. Murmures. Sous les traits de crayons et de pinceaux, Elle m’effaçait, peu à peu. Résignation? Un jeune homme est venu Lui apporter un bouquet de marguerites, mauvais jeu de mot d’un admirateur. À moi,  il a donné mille œillets. « Il reste une heure, trente minutes et onze secondes. » Pierre donna le coup d’envoi et Elle s’avança sous la pluie de pépites d’or. Elle est radieuse. C’est Elle qui dit au loup de ne plus exister. « Il reste deux minutes et une seconde. » C’est Elle qui ordonne aux rats et aux vipères de disparaître.

Elle revient vers moi, sans savoir que je serai son écueil. Nous retournons, sous le bruit des derniers battements, saluer l’audience. Je repense à la boîte et me dis qu’il y manque encore une chose importante : Elle. Je nous emporte donc, Elle avec moi, d’un seul geste scintillant au cœur d’une église tranquille. Le rideau tombe sur les mille œillets et la foule aveuglée par la tromperie se lève et quitte la salle. Nous ne sommes plus que des murmures, rumeur d’une peine sans nom.

 

SOS

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Seule assise à sur ce sofa solide,

Cette faiblesse à l’âme sature mes pensées.

Silencieuse souffrance,

Subtile tristesse.

Sans son soudain me blesse ce « si »,

Scieur de souffle au sang sifflant.

Souci de soie,

Senteur d’encens.

Sept.2002

W.P.

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Balayant du revers de la main ces larmes

Venues des ouates grisâtres gonflées à éclater,

La latte noire vient fièrement dégager la vue

De cet homme qui a le souci de la loi.

Quand l’astre du jour domine son royaume,

Elle reste étendue en suspend

Se maintenant en équilibre à l’aide

De son unique jambe finement articulée.

Quand les bourrasques d’un souffle puissant

Viennent flageller son dos lui donnant

Ainsi la chair de poule, nul de s’arrête

Pour l’entourer d’une écharpe bien chaude.

Enfin, quand la nature ne se pointe pas le nez

Au matin, elle reste abritée le jour durant

Accrochée à cette plaque de verre

Transparent à laquelle elle est liée pour la vie.

avril 1998

Écriture automatique

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Le lac sombre dans l’air à la rescousse d’un être au souffle coupé, à genou dans l’éternité.

 Ami navigateur au large du long et étroit miroir du monde.

Le bruit de feuilles qui tombent sur nos cahiers ivres de mots inconnus, mais réels si réels qu’on en a peur des les saoûler d’encre. Vin. Vains efforts. Rêve perdu à jamais, parti en fumée, fumée agaçante de la pipe éternelle de grand-père qui chante des nuages gris déchirant l’air.

Là…

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Appartement Pavé-uni
05-14 juillet 2012

C’est puissant l’instinct de survie. La force de vivre. Bien que parfois la vie nous joue des tours, personne ne peut vraiment dire qu’il a envie de mourir, qu’il n’a pas peur de la mort. De sa mort.

Il y a cette mauvaise herbe qui, malgré qu’il semblait pour elle ne plus jamais être possible de revoir la lumière, est parvenue à se frayer un chemin entre les grains solidaires de ce sable polymère. C’est puissant cette force de vivre.

Malgré ces instants où, en penchant la tête de côté, on ressent les trapèzes rigidifiés par un quotidien souvent trop lourd…
Malgré ces respirations n’emplissant qu’une partie de ce thorax que l’on peut pourtant gonfler bien encore…
Malgré ces craintes du jugement des autres, bases sartriennes de la psychologie, ces traces du passé, de l’inconscient, parfois même collectif…
Malgré les tuiles qui nous tombent sur la tête, irrespectueuses de notre bonheur…

Il y a ces instants où l’on pense à vous, où une pensée s’élance vers vous, douce.
Il y a ces clins d’œil frais, juvéniles, amusés, moqueurs, coquins, enfants, cette joie tabou de la folie cloîtrée entre les fils barbelés du conformisme dicté. Grégaire phenomenon (en anglais, ce mot a des airs de pharaon)!
Il y a ces découvertes musicales qui vous imprègnent, vous transportent. Elles finissent par porter le goût, la senteur, le ressenti du moment où elles ont fait irruption dans votre vie. Chaque fois qu’on les réentendra, on se rappellera cette soirée de juillet humide à souhait au centre-ville de Montréal, ce souper au Commensal, cette odeur de fumée de cigarette sur le banc de béton où un altruiste cendrier a été fixé.
Il y a ces possibles. Ces soirées tant attendues qui finissent par survenir après quelques détours d’obligations et de conflits temporels.
Il y a ces jours où on a suffisamment de force en nous pour déployer l’arsenal d’efficacité, des jours où on se trouve au top de la hotitude, en contrôle de nos réactions, en paix avec nous-mêmes, à jour dans notre bilan émotif, dans notre carnet de bord de vie.
Il y a de ces nuits de sommeil profond qui nous remettent sur le piton.

Malgré ces attentes déçues, ces attentes vaines, ce rôle de Vladimir ou d’Estragon… on oublie ce là-maintenant qui est le seul à nous appartenir entièrement et que nous sommes les seuls à pouvoir modeler. Avec quels yeux choisissons-nous de voir ce présent? Ceux teintés de fatigue, bouffis par les pleurs des peurs étouffantes ou ceux de quelqu’un qui a choisi de jouer à Vivre et qui, chaque fois qu’il est freiné, sait savourer d’avoir à s’arrêter pour réfléchir à ce défi à relever, à cette embûche qui le force à s’arrêter, à se recentrer, à faire les apprentissages qu’il a à faire avant que le défi soit finalement relevé et qu’un autre se présente.
Malgré que ces moments-là, nous ne parvenions, ni vous ni moi, à les regarder du bon œil…
Malgré ces instants où notre nombril crie si fort qu’on oublie qu’il y en a des milliers à qui la vie n’a réellement pas donné de cadeau et qui utilisent cette force de vivre pour sourire vêtus d’un pagne, pieds nus dans la pierre brulant sous le soleil de leur désert. Ils rient. Ils savourent la vie. La leur. Quelle qu’elle soit!
Malgré ces matins plus difficiles où l’on oublie de jouer notre vie, de nous la façonner belle et bonne à vivre…
Malgré ces temps d’attente bien involontaires de notre part, on oublie qu’il est possible de rentabiliser ce temps et se mettant à jour avec nous-mêmes. Pourquoi se place-t-on en position d’attente? Qu’allons-nous tirer de toute cette histoire? Qu’avons-nous à perdre? D’où provient cette peur qui nous tenaille? Est-ce qu’on sabote soi-même la situation?
Malgré tous ces questionnements aux réponses qui s’entrechoquent, se contredisent, nous tiraillent…
Malgré cette peur d’être trompés, laissés, non aimés, on oublie tout le reste. Notre égo prend le dessus sur tout et plus rien ne goûte que cet amer saveur de peur.

Il y a ces caresses d’enfant, ces cris de joie, cette découverte constante. Devant une girafe live, la vie devient tellement plus belle pour un enfant!
Il y a ces surnoms qui vous sont donnés. Vous passez de Prénom à Surnom! Évolution savoureuse sur l’échelle de la confiance. Indice limpide d’une appréciation.

Malgré cet instant-poignard de la fin d’une histoire…
Malgré les réponses promises qui ne viennent jamais…
Malgré qu’on ait eu l’impression de se tromper, d’être leurrée et de ne pas s’en être rendu compte, comme un con qu’on n’est pas du tout au fond, mais ça semble être la seule explication à la situation fatale de la fin finale froide et fuyante. FIN. The End. Point.
Malgré cette réalité sciante…

Il y a cette possibilité qu’il n’ait s’agit que d’une rencontre qui n’était pas la bonne.
Il y a l’option qu’il n’y ait pas d’explication supplémentaire et que ce soit correct ainsi.

Malgré que tous ces mots ne guérissent pas leur éternel homonyme…

Malgré tout.
Et « à cause des malgré »*.
« Il nous faut voir un peu, différemment les choses »*…

*Céline Dion « À cause »