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Les processus sensoriels : explications potentielles à certains comportements

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Je roulais en voiture et entretenais l’espoir de pouvoir enfin ouvrir ma fenêtre et sentir l’air printanier, mais la procédure aurait entrainé l’hypothermie. Le printemps choisit de se faire timide. Mon cerveau était, à ce moment précis, en train de constater l’information paradoxale livrée par ce soleil flamboyant quand soudainement, la radio nationale m’a extirpée de cet état semi-mélancolique! On mentionnait que dans les quatre dernières années, une augmentation de 40% des prescriptions de médicaments pour enfants et adolescents avait été observée. Ce phénomène se retrouve aussi du côté des adultes…

Avec une amorce comme celle-là, on pourrait croire que je m’apprête à rédiger une envolée protestataire, mais il n’en est rien! Qu’est-ce qu’un petit billet de blogue pourrait y faire?

Non, cette information m’a plutôt fait réfléchir… (Ah! ce que les balades en voiture peuvent offrir comme temps de réflexion!) D’abord naturalistes, mes pensées se sont tournées vers la classe, vers ces élèves qui, chaque matin, doivent avaler une pilule qui intervient clairement sur leur comportement. Étrangement, aussitôt qu’un enfant présente une différence comportementale par rapport à la norme acceptable, alors qu’il n’est visuellement pas atteint d’un handicap notable, on opte pour la présence potentielle d’un TDA(H). « Il est hyperactif, c’est sûr! Ou il a un déficit d’attention… Ça n’a pas de bon sens! Il n’est pas capable de suivre. Pantoute! » Et on demande une évaluation, car on sait qu’il faut agir, que l’on soit parent ou enseignant. Le nombre de demandes d’évaluation aussi augmente, dit-on, et le temps entre cette demande et la tombée d’un diagnostic est peuplé de soupirs. Aurait-on pensé envisager une autre potentielle explication à ces comportements? En existe-t-il d’autres ou tout est question de TDA(H)? Comment peut-on réagir, réfléchir, intervenir devant un constat comportemental?

Deux jours plus tard, j’assistais à une présentation de Mme Lemay, ergothérapeute, qui portait sur les processus sensoriels.

La vie m’étonnera toujours!

N.B. Les propos qui suivent se veulent un partage de la richesse de la présentation de Mme Lemay, de contenus de cours sur le fonctionnement du cerveau suivis avec M. Robillard et Mme Lafontaine à l’UdeS au 2e cycle et jugés pertinents dans ce cadre ainsi que de lectures complémentaires, entre autres sur le Portail enfance. La plupart des exemples ont été empruntés. En aucun cas il ne faudrait considérer ce billet comme le lieu de consignation de la part d’une professionnelle du sujet. Je ne suis pas ergothérapeute ni même psychologue ou professionnelle de la santé. Je suis une enseignante qui a été nourrie par ces apprentissages et qui juge pertinent de les partager, humblement.

Les processus sensoriels

« Les processus sensoriels permettent d’utiliser et d’interpréter les stimulus de l’environnement captés par nos différents sens et de transformer le tout en une réponse comportementale adaptée. »

Lorsqu’on parle de sens, on fait souvent référence à ce VAKOG (visuel, auditif, kinesthésique, olfactif et gustatif), mais  en lisant sur les processus sensoriels, on semble préciser le K : le toucher (profond et léger), le vestibulaire (mouvement et gravité : placement du corps dans l’espace) et la proprioception (sentir son corps, en avoir conscience).

Chaque stimulus de l’environnement est traité. Chacun. Présentement, vos yeux reçoivent la lumière d’un écran, décryptent des caractères noirs sur un fond blanc, peut-être sont-ils brulants de fatigue? Vos oreilles, qu’entendent-elles? Les bruits d’une foule? Le vent? Le roulement des voitures sur la route près de l’arrêt de bus? Et votre corps, est-il confortable? Debout? Assis? Le cou recourbé pour regarder un écran de 17 pouces ou de 7 pouces? Vos vêtements sont-ils confortables? Ressentez-vous l’élastique de vos caleçons, la ceinture à votre taille, le bracelet sur votre poignet? Sentez-vous le dioxyde de carbone, la lavande de votre diffuseur, les pieds de votre conjoint? Est-ce que des enfants courent autour de vous?

Filtrer

Quelles que soient les circonstances dans lesquelles vous vous trouvez au moment où vous lisez ce billet (merci de le faire d’ailleurs!), il y a un nombre impressionnant de stimulus que vos sens interprètent et filtrent. Vous parvenez à faire fi de plusieurs de ces stimulus et à ne choisir que les lettres noires sur le fond blanc comme objet d’attention, on dira que c’est votre réponse comportementale adaptée à la situation. Le traitement des stimulus par vos processus sensoriels est autorégulé.

Certains jours, ce sera plus ardu de ne pas laisser la télévision qui joue en arrière-plan ou l’horloge qui bat les secondes venir altérer notre attention … il faudra agir sur l’environnement pour que le traitement se fasse adéquatement.

Le filtre apparait avoir ses limites circonstancielles.

Parfois, ce filtre ne s’applique pas et, pour certains, le traitement des stimulus est problématique. Et, mettons l’accent sur ce point, ce n’est pas une question de capacité physique. On ne dira pas d’une personne vivant avec une cécité qu’elle a un trouble de l’intégration sensorielle visuel… Sa condition est relative à une capacité physique, « ce n’est plus une question de traitement de l’information par les processus sensoriels », précise Mme Lemay.

Mécanismes de traitement sensoriel

Chez chacun de nous, lors du traitement de l’information captée par les sens, deux mécanismes sont impliqués : la discrimination et la modulation sensorielles (Anzalone & Lane, 2011).

La discrimination, c’est la capacité de dissocier les différents stimulus, de les distinguer et de les traiter en fonction de leurs caractéristiques. C’est la base de toute activité praxique. C’est cette discrimination qui nous permet, les yeux fermés, de trouver au fond d’une sacoche le baume à lèvres tant recherché. Quand le trouble de l’intégration sensorielle relève d’une altération de la discrimination, la personne peut ressentir la douleur d’une lacération occasionnée par une lame apparue soudainement dans son champ de vision alors que cette dernière n’est que très loin d’elle. (Exemples de Mme Lemay)

La modulation permet la régulation de l’intensité des réponses tant sur le plan comportemental, qu’émotionnel. Cette modulation est permise grâce au bon fonctionnement du SNC (système nerveux central) et du SNA (système nerveux autonome). Rappelons que c’est ce système nerveux qui est aussi responsable de l’état d’éveil et de vigilance, c’est lui qui commande les réactions de protection et de défense instinctives. (Mes cours d’anatomie dans le cadre de ma formation en massothérapie me servent en pédagogie, n’est-ce pas du beau transfert, ça?!)

L’hyporéactivité et l’hyperréactivité sont deux possibilités d’altération du système nerveux.

L’hyporéactivité est en quelque sorte une dormance sensorielle. Il est possible de noter des manifestations d’une hyporéactivité potentielle chez nos élèves : on doit enseigner de manière très dynamique pour qu’il y ait réaction minimale chez l’élève, souvent dans la lune, lent à répondre aux consignes, peu conscient de la douleur, semble malhabile, peu curieux, est souvent dans son monde, difficulté à entrer en relation avec les autres, etc.

D’un autre côté, l’hyperréactivité amène l’élève à être en constant état de défense sensorielle. Tout est « too much » pour lui, il a du mal à se concentrer quand il y a du bruit par exemple, se fâche quand un autre élève le regarde, se met en colère quand il ne comprend pas, est irrité par ses vêtements, car il ressent tout plus que la moyenne, perçoit un déplacement rapide près de lui comme une attaque, etc.

Un autre élève pourrait être en recherche sensorielle : a une envie insatiable de sensations fortes, prend des risques tout le temps, souvent de manière socialement inacceptable, si la recherche est interrompue parce que trop dérangeante, l’enfant devient colérique, etc.

Ces observations ne sont pas des évidences d’un diagnostic certain. D’ailleurs, il revient à des spécialistes de la santé d’établir un diagnostic. Ne tombons pas dans le piège de la catégorisation comme c’est souvent le cas. L’abus du verbe « être » en témoigne! 

Bref

Au retour, à la fin de cette journée riche, j’étais en voiture et je réfléchissais… (Ah! décidément, la voiture est un lieu très intellectuel!) Je me rappelais un documentaire à Découvertes relatif au TDA(H) où l’on faisait mention d’un retard développemental du lobe préfrontal altérant la production de dopamine comme  cause du trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité. Quant à lui, le trouble du traitement de l’information sensorielle est défini par Lucy Jane Miller comme « un trouble d’organisation des stimulus entrainant une incapacité à produire une réponse adaptée qui résulte en des problèmes dans la routine de tous les jours et dans les activités (Miller, Anzalone, Lane, Cermak, & Osten, 2007) ». Il apparait donc évident que le diagnostic de TDAH ne soit pas la seule réponse à un comportement présentant des caractéristiques qui l’éloignent de la norme. Intéressant.

Bla, bla, bla, bla, bla, penserez-vous peut-être… Aucune piste d’intervention, aucun moyen concret, rien.

En fait, si, il y a quelque chose : une compréhension élargie de la réalité et une prise de conscience qui ouvrira nos horizons de compréhension et d’adaptation.

Pour ce qui est du « Oui, mais comment je fais en classe au quotidien avec cet élève? », je suis néophyte et continuerai à collecter les informations à ce sujet. Une chose est certaine, mes lunettes, comme dirait Mme Lemay, ont changé, et ma perception des comportements est sans doute plus éclairée. Si Mathias est plus attentif à une consigne orale lorsqu’il est assis à genoux sur sa chaise, il se peut que je n’exige plus de lui qu’il s’assoie « correctement ». Il se peut aussi que le concept de « position d’écoute » ait une autre signification maintenant… Sans doute, en outre, ne percevrai-je pas une réaction disproportionnée de la même façon, nuançant mes propres réactions.

Comme le monde de l’enseignement, du cerveau, de l’être humain est fascinant!

Liens

Pour en apprendre davantage sur les troubles de traitement de l’information sensorielle : Portail enfance
Pour mieux connaitre le TDAH : Trousse d’information et d’intervention au secondaire de la CS des Samares
Pour se référer aux services d’un ergothérapeute : Ordre des ergothérapeutes du Québec
Centre le Bouclier